Bukavu : Harcèlement sexuel dans les ménages, une violation des droits des femmes

ByRolande CINAMA

Bukavu : Harcèlement sexuel dans les ménages, une violation des droits des femmes

En province du Sud-Kivu en général et dans la ville de Bukavu en particulier, des femmes et filles sont harcelées sexuellement dans des ménages mais celles-ci se taisent. Pourtant, ces actes les mettent dans des situations inconfortables et ne leur permettent pas de vivre et d’évoluer en toute indépendance. Certaines des survivantes en parlent pour encourager d’autres à dénoncer et aux services judiciaires de punir ces actes malsains.

Tel est le cas de deux filles rencontrées dans la ville de Bukavu. L’une a été harcelée par son cousin qui habitait chez elle et l’autre femme de ménage de son état, a été harcelée par le fils ainé de son patron.

Christelle (nom anonyme) raconte ce qu’elle a vécu : « À l’âge de six ans, dans les années 2012, un de nos cousins est venu vivre dans notre maison familiale. Il me dépassait de quatre ans. Quand j’ai atteint l’âge de 10 ans en 2016 avec le début de la puberté, certains changements s’opéraient déjà sur mon corps. Vu le regard de mon cousin, celui-ci me harcelait déjà verbalement. J’avais trop peur et je ne pouvais le dire à personne puisqu’il me disait que si j’ose le dire à qui que ce soit il va me tuer ».

A part Christelle, Zawadi a aussi été harcelée. Femme de ménage depuis l’âge de 17 ans, elle a été harcelée par le fils de son patron âgé de 30 ans à plusieurs reprises. « Le fils aîné de mon patron voulait coucher avec moi quelques mois après que j’ai été engagée chez lui. J’ai commencé ce travail en juin 2021. A chaque fois que j’étais seule à la maison, il revenait avant le temps et me faisait des avances. Le jour du  nouvel an 2022, une grande fête avait été organisée à la maison. La fête s’est clôturée trop tard. Le lendemain je devrais me réveiller tôt pour arranger la maison. J’étais à la cuisine vers 7 heures et tout le monde dormait encore. Il est venu et a fermé la porte de la cuisine derrière lui. Il a commencé à me toucher et m’a forcé à coucher avec lui disant qu’il va me payer le double de mon salaire à la fin du mois. Il a insisté, j’ai refusé mais il ne voulait pas accepter. Lorsqu’il voulait me prendre par force je l’ai giflé et il est tombé. C’est là que je me suis enfouie de la cuisine. Le mois prochain, en février 2022 j’ai démissionné de mon boulot par peur d’être violée », temoigne-t-elle.

Ces cas sont de plus en plus fréquents bien que des femmes ne veulent pas en parler. Comme Christelle qui subit depuis plusieurs années un traumatisme, il serait important que les femmes puissent dénoncer ce cas pour être suivies psychologiquement.

« Arrivée à l’âge de 16 ans, au courant de l’année 2022, ce même cousin qui me dépassait de quatre ans a profité de l’absence des parents pour venir s’imposer dans ma chambre. J’avais des règles et des maux de ventre que j’ai décidé de rester à la maison alors que toute la famille était invitée à une fête. Mon cousin a aussi fait semblant d’être malade pour ne pas aller à la fête. Quand ils sont tous partis, il est venu dans ma chambre et a dit que cette fois-là il ne va pas me laisser sans rien faire. Il m’a touché sérieusement et moi de mon côté je n’avais pas de force pour lui résister. Ce qui m’a sauvé ce sont mes règles », a ajouté Christelle.

Pour Néné Bintu, défenseure des droits des femmes, la plupart des filles harcelées sexuellement au sein de leur ménage ne veulent pas dénoncer par peur de déstabiliser leur famille. Celles qui travaillent dans les ménages appelées couramment « domestiques » ou « bonnes » se trouvent dans une situation faible économiquement pour pouvoir dénoncer.

« Les filles et femmes victimes de harcèlement sexuel ne dénoncent pas parce qu’elles n’ont pas assez de moyens pour pouvoir être accompagnées par les instances judiciaires. C’est maintenant le travail que doivent faire les organisations féminines pour pouvoir accompagnées ces femmes ayant de faible moyen de se prendre en charge mais cela doit commencer par des dénonciations de ces filles et femmes harcelées pour qu’elles soient accompagnées ».

Elle renchérit par le fait que des sensibilisations doivent être faites par les organisations de la société civile et les organisations féminines afin d’amener toutes les femmes victimes de pouvoir dénoncer, ainsi être accompagnées juridiquement et psychologiquement parce que plusieurs d’entre elles subissent des stress et traumatismes.

Des séances de sensibilisation sont faites sur terrain en province par plusieurs organisations. C’est notamment par le conseil des organisations des femmes agissant en synergie, COFAS en sigle.

Pour Josée KUSINZA, secrétaire exécutive du COFAS, des formations sur les droits humains et les besoins sexo-spécifiques des femmes sont organisées à l’égard des jeunes filles adolescentes afin de les amener à dénoncer toute forme de violence dont elles sont victimes.

« Nous organisons des formations à l’égard des jeunes filles scolarisées et non scolarisées à travers des clubs de filles, des familles, des écoles et des groupes de travail pour les amener à dénoncer toute forme de harcèlement sexuel dont elles sont victimes. Pour les filles scolarisées, 14 écoles dont nous sommes partenaires ont des cours en matière de violence et le leadership féminin ».

Lumière SINGAY, experte en santé mentale précise que beaucoup de femmes pas seulement victimes de harcèlement sexuel souffrent parce que, les femmes ont été éduquées de la manière dont celle-ci ne doit pas dévoiler les secrets de sa maison. Ce qui reste un grand obstacle pour que les femmes de ménage et les filles puissent dénoncer le harcèlement sexuel dont elles subissent. Pourtant, il est important que les survivantes puissent suivre une thérapie avec d’autres personnes pour exposer leurs problèmes et obtenir la moitié du traitement.

« Si les survivantes ne suivent pas de thérapie, à la longue elles vont développer la nervosité, l’anxiété, les maux de tête, la gastrite mais aussi l’hypertension parce qu’elle s’enferme sur elle et le problème s’aggrave. J’invite ces filles victimes de harcèlement sexuel  à approcher les experts en santé mentale, les psychologues et les psychiatres afin d’exposer leur problème et parvenir à trouver tant soit peu le soulagement », indique Lumière Singay.

Les experts en santé mentale ne vont accompagner les femmes et filles dans les ménages des victimes de toutes ces formes de violence que si celles-ci les approchent lorsqu’un tel ou tel autre problème s’est présenté, a-t-elle conclu.

Le code pénal congolais en ses articles 2 et 4 punit d’un an à douze ans et d’une amende de cinquante mille francs congolais constants, celui qui se sera rendu coupable de harcèlement sexuel ou l’une de ces peines seulement. Comme pour toutes les infractions de violences, l’amende transactionnelle n’est pas de mise en matière de harcèlement sexuel. En ce qui concerne le harcèlement sexuel en milieu de travail, celui-ci a comme siège de la matière en RDC, les articles 2 et 4 de l’Arrêté ministériel du 26 octobre 2005 portant interdiction du harcèlement sexuel ou moral dans l’exécution d’un contrat du travail et l’article 174 de la loi du 20 juillet 2006 modifiant et complétant le Décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal congolais.

De sa part, la chef de division du genre, femme, famille et enfant, Jacqueline Ngengele stipule que les cas de harcèlement et des violences sexuelles et celles basées sur le genre ne sont pas dénoncées auprès de l’état. Le harcèlement ne se passe pas seulement dans les ménages mais également dans des écoles et dans les milieux de travail pourtant censés être des milieux saints. Elle compte faire la vulgarisation auprès des points focaux genre des institutions publiques et les organisations de la société civile de la nouvelle stratégie nationale de lutte contre les VSBG validée en 2020 afin que toutes les parties prenantes s’en approprient, ainsi mettre fin à toutes formes de violence dont subissent les femmes.

« Nous attendons que le gouvernement puisse imprimer la stratégie nationale révisée de lutte contre les VSBG afin que toutes les parties prenantes prennent conscience qu’elles doivent travailler pour l’élimination des VSBG dans nos communautés », a-t-elle conclu.

La nouvelle stratégie  apporte quelques nouveautés de par sa définition qui englobe tous les aspects des VBG, y compris les violences domestiques, la responsabilité du Gouvernement renforcée et son champ d’action qui s’étend sur tous les territoires. Tout ça, pour lutter contre les VSBG sur toutes ses formes en RDC.

Joëlle Bufole, JDH.

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