« La lecture nourrit l’âme comme le pain nourrit le corps », écrivait le Français Antoine Albalat. Dans la Ville de Bukavu, cette citation est un paradoxe. Si l’amour de la lecture est manifeste, la réalité pour les écrivains locaux est différente : nourrir l’âme de la population est un grand défi face aux difficultés de commercialisation et de promotion de leurs œuvres.

A Bukavu, il est se constate une faible consommation des livres des écrivains locaux ; des librairies et bibliothèques sont fréquentées par des étudiants et des chercheurs pour des besoins académiques et scientifiques, mais les ouvrages écrits par les fils et filles de Bukavu restent étrangement coffrées aux étagères des chambres. L’Auteur du livre « Chroniques de la ville », Muda Maxana, regrette les longs moments de négociations avec les clients pour vendre des productions littéraires : « A Bukavu, ils achètent, mais il faut un peu leur tirer l’oreille. C’est qui m’a surpris c’est que certains vont même jusqu’à réduire le prix du livre. Ils sont tellement habitués à marchander qu’ils font de même pour les livres », a-t-il laissé entendre.

Le problème ne se résume pas à un manque d’intérêt des lecteurs pense Monsieur Isaac, chercheur en sciences sociales ayant publié ses travaux après des études à Alexandrie. Il pointe du doigt le manque d’informations et de stratégies de communication des auteurs : « Avant de publier mes ouvrages ou articles, je dois savoir où les publier, c’est-à-dire je dois rédiger mon texte en suivant les exigences de mon institution pour que celui-ci soit consommé par les autres, que ce soit des chercheurs locaux et internationaux pour des questions de visibilité. Il faut également misé sur la commercialisation. Donc  si quelqu’un dit qu’il ne sait pas où publier soit une revue ou un article scientifique, je dirai que le problème est de sa part parce qu’il ne sait pas trouver un cadre qui lui sera propice. Il faut de ce fait effectuer des recherches, visiter le siège de chaque institution, savoir si elle est connue. Si c’est la revue voir si elle est consultée. Il ne faut pas publier simplement par amusement ». 

Déficit de réapprovisionnement en livres

Des lecteurs rencontrés dans les rues affirment que la faible visibilité des ouvrages locaux rend leur accès difficile. L’information sur les points de vente parait insuffisante freinant ainsi l’accès aux livres. Leurs recherches également sont plus retrouvées dans des livres anciens affirment-ils : «  Moi je lis pour mes recherches scientifiques et je les retrouve souvent dans les livres anciens. Je ne savais même pas qu’il y avait des gens ici qui écrivent », laisse entendre une jeune fille qui a requis l’anonymat. 

Avis non partagé par Poecrate Célestin. Cet artiste rencontré à l’institut français de Bukavu est amoureux de la lecture afin de peaufiner ses compétences artistiques. Ses recherches n’ont pas de barrière pourvue qu’elles répondent à ses attentes : « A la base, je suis poète et je me familiarise plus avec la poésie pour essayer un peu de booster mon niveau. La fois passée d’ailleurs, j’ai parcouru le livre de mon ami Ye Jessé Murhandikire»,  renchérit cet artiste Poète de Bukavu.

Les bibliothèques de la ville ne ferment pas leurs portes aux désirs de documentation chez les lecteurs et négociations de promotions des ouvrages aux auteurs. À l’Institut français de Bukavu par exemple, souligne Marie-Thérèse Cimanuka, des livres d’auteurs de Bukavu sont régulièrement disponibles ainsi qu’un programme mensuel d’échanges entre auteurs et lecteurs, notamment des cafés littéraires, visant à pallier ce manque de visibilité.  

 « En 2024, nous avons atteint quatre-vingt (80) pourcent de consultance des livres. La catégorie des gens qui viennent sont des chercheurs, les étudiants et les artistes en majeure partie. Les écrivains font des vernissages et viennent présenter leurs livres chaque mois lors des cafés littéraires avec des objectifs de présenter leurs œuvres au public et qui, après va chercher à voir les livres vernis », dit cette Bibliothécaire de l’Institut Français.

A la bibliothèque Humanitas, une des plus anciennes de la ville, une dizaine d’ouvrages locaux sont exposés. Monsieur Evariste Bakulikira, responsable, regrette le manque d’implication des auteurs locaux qui n’apportent pas leurs livres pour la promotion : « nous avons ici un problème de réapprovisionnement en livre, des livres physiques qui ne sont plus vraiment consultés, l’ampleur d’internet qui efface peu à peu la culture. Sur ordinateur, les informations sont synthétisées mais les livres imprimés contiennent tout.  La meilleure façon de promouvoir les livres à ce moment reste les écoles, si les enseignants les envoient venir chercher des livres et aux auteurs locaux qui peuvent apporter leurs livres ici pour faire un peu de promotion mais les élèves qui viennent ici ne cherchent que des romans».

L’intérêt de la chaine du livre

M. Désiré Kabale, responsable de la Librairie Générale du Sud-Kivu, soutient que la solution de vente des livres locaux réside dans une meilleure maîtrise de la chaîne du livre. Il insiste sur le rôle essentiel de la librairie dans la commercialisation, soulignant que la vente ne doit pas être la seule responsabilité des auteurs. Une meilleure gestion de la distribution et de la communication permettrait une diffusion plus large, à l’échelle nationale et même internationale.

« Si un auteur se met à commercialiser ses livres, quand est-ce qu’il pourra se concentrer pour la rédaction d’un autre ? Le mieux est de comprendre que la chaine du livre a tout tracé pour permettre à chacun de faire son travail. Un bon auteur travaille avec sa maison d’Edition, qui à son tour collabore avec un distributeur qui associe un diffuseur et une communication se fait avec la Librairie. Rien ne se crée, tout est déjà établit ».

Par ailleurs,une tendance s’observe dans les rues de Bukavu. Des vendeurs ambulants, cassant les prix pour rendre les livres accessibles à tous. Pour ces marchands, cette pratique spontanée vient étancher une certaine soif de lecture et accompagnement littéraire. Le cas d’Adellard Dunia : «  ce métier, je le fais par amour de lecture. Les livres que j’expose, je les reçois des familles qui déménagent. Je les revends à un prix bas pour permettre à chacun de s’en procurer. Il m’arrive de vendre quinze livres par jour».

L’obstacle, regrette ce vendeur, les écrivains locaux fixent le prix très élevés de leurs livres, une situation qui ne facilite pas l’écoulement de leurs œuvres. 

Néanmoins des initiatives de promotion du livre se font remarquer de plus en plus à Bukavu. Par exemple, la « Nuit de la Lecture, » un événement littéraire prévu du 25 au 26 janvier par la Librairie Générale des Livres des Grands Lacs. Cet événement vise le rétablissement de la scène littéraire de Bukavu, dit Désiré Kabale.

La situation du livre à Bukavu reste un défi. Si la passion pour la lecture est bien présente, une meilleure collaboration entre les auteurs, les libraires, les bibliothèques et les espaces culturels est nécessaire pour rendre la littérature locale accessible à tous et lui donner la place qu’elle mérite.

Kathia Amina