Dans les profondeurs des forêts verdoyantes de l’Est de la République Démocratique du Congo, bien avant que les tambours ne résonnent dans les villages du Bushi au Sud-Kivu, une danse est née. Elle ne portait pas encore le nom de Ntole. C’était d’abord un rituel guerrier, une célébration du courage et de la victoire.
Les chasseurs Bashi, revenant triomphants après la capture d’une proie sauvage, exécutaient des pas puissants, rythmés par les cris et les battements de leurs cœurs. Ces mouvements, empreints de fierté et d’allégresse, allaient peu à peu devenir le symbole d’une identité : « le Ntole ».
Des forêts à la cour royale
Selon la tradition, cette danse d’abord réservée aux chasseurs attira l’attention du roi de l’époque. Fasciné par la beauté des gestes et la force qu’ils exprimaient, le souverain décida d’officialiser le Ntole comme danse royale. Il en fit un rite spirituel, confié à des danseurs formés par les chasseurs eux-mêmes, désormais appelés « Ntole ». Dès lors, la danse fut présente à toutes les grandes cérémonies du royaume : intronisations, fêtes royales, mariages et célébrations de la naissance des jumeaux.
Ce passage du bois sacré à la cour marqua le début d’une véritable institution culturelle. Le Ntole devenait le cœur battant de la joie collective, le souffle même de la communauté.
Une tradition complexe et codifiée
« Le Ntole, c’est plus qu’une danse, c’est une mémoire en mouvement », explique le CT Jean-Marie Kazunguzibwa, chercheur et conservateur du patrimoine culturel.
Il raconte que chaque geste, chaque battement de pied a un sens précis, hérité de l’époque précoloniale.
Les danseurs, alignés en cercle ou en rangée, se parent de symboles ancestraux : torse nu, une large toile en guise de cache-sexe, une peau de singe en coiffe, deux lances brandies fièrement, et des grelots fixés aux chevilles.
« Le fait de porter la peau de vache, de singe ou d’autres animaux, ainsi que la lance et les grelots, incarne la diversité et la richesse du patrimoine culturel Shi et Havu », souligne ce conservateur culturel.
Le Ntole, expression d’une identité Bashi
Danser le Ntole, c’est affirmer son appartenance au peuple Bashi. C’est honorer les ancêtres, exalter la cohésion et la joie de vivre. Cette danse, transmise de génération en génération, reflète la philosophie d’un peuple attaché à la solidarité et au respect de ses valeurs.
Les Ntole chantent pour raconter, éduquer et divertir. Leurs refrains évoquent l’histoire du Bushi, ses héros et ses coutumes. Leurs mouvements, empreints de grâce et d’énergie, expriment l’esthétique et la créativité d’un art profondément enraciné.
« Le Ntole est à la fois un divertissement, un enseignement et un lien social. Il véhicule la bonne humeur et renforce le vivre-ensemble », poursuit M. Kazunguzibwa.
Entre tradition et modernité
Aujourd’hui, le Ntole franchit les frontières du Bushi. On le retrouve sur les scènes culturelles, dans les festivals, les écoles et même dans les compétitions artistiques.
Les jeunes artistes s’en inspirent pour créer des chorégraphies contemporaines, mariant tambours traditionnels et rythmes modernes. Cette adaptation, loin de trahir la tradition, montre une culture vivante, capable d’évoluer sans se perdre.
Certains groupes musicaux modernes puisent aussi dans le Ntole des rythmes et des pas emblématiques, faisant de cette danse une source d’inspiration pour l’industrie musicale congolaise.
De la cour royale à l’église
Avec l’africanisation de la liturgie, le Ntole a trouvé une nouvelle place dans les célébrations religieuses. Dans plusieurs diocèses du Sud-Kivu, les fidèles voient ces danseurs accompagner la messe, mêlant spiritualité chrétienne et symbolique traditionnelle.
Mais la danse a également pris une dimension politique : les Ntole sont souvent invités à animer les grands événements publics, symboles d’unité et de fierté identitaire
Préserver l’âme du Bushi
Toutefois, cette richesse culturelle fait face à des défis modernes. La mondialisation, la perte d’intérêt des jeunes et l’absence de transmission intergénérationnelle fragilisent cette tradition. Pour Kazunguzibwa, le relâchement observé chez les danseurs vient du manque de mécènes culturels et du vide entre les anciens et les jeunes.
« Préserver le Ntole, c’est préserver une partie de l’âme du Bushi », insiste-t-il.
Il plaide pour la création de projets culturels, des foires et festivals où le Ntole pourrait être célébré, enseigné et transmis.
David BYADUNIA