A Bukavu en province du Sud-Kivu, le port des perles revient en force. Portés par une jeunesse en quête de repères et des femmes, les perles ne sont pas de simples objets de parure. Elles incarnent une tradition vivante, un langage silencieux et une forme d’expression identitaire puissante.
Utilisées depuis des générations, les perles jouent un rôle fondamental dans la valorisation de la femme et la transmission des identités culturelles. Elles contribuent à l’expression de la féminité et sensualité et sont souvent associées à des qualités telles que la pureté, la sagesse et la noblesse.
Entre esthétique et symbolique culturelle
Les perles sont traditionnellement portées autour des hanches, du cou, des poignets ou encore sur la tête. Chez les peuples Bashi, Lega, Nyindu,… elles accompagnaient les cérémonies initiatiques, les mariages, ou encore les danses rituelles. Aujourd’hui, ces pratiques tendent à se métamorphoser, entre fidélité aux racines et modernité.
Le conservateur culturel, Shakulwe Konda, regrette que l’esthétique soit plus privilégiée en lieu et place des valeurs culturelles.
« Porter une chaine en perles au coup prouvait que la femme était coutumièrement mariée, mais avec le modernisme et nouvelle tendance, la femme porteuse des perles ne fait aucune preuve des valeurs culturelles. Elle a donné beaucoup de la place aux imitations culturelles occidentales », regrette-t-il.
Shakulwe Konda insiste sur l’étude de valeurs avant utilisation de toute œuvre d’ornement ayant des liens avec des identités ou valeurs culturelles.
Des nombreuses jeunes femmes de Bukavu s’approprient le port des perles à leur manière. Ce phénomène est visible à travers les réseaux sociaux, les marchés artisanaux, les défilés de mode ou les événements culturels.
« Le Baya est fait pour toutes les femmes. Cet embellissement de la hanche me permet d’aimer de plus en plus mon corps », confie Judith Gasigwa, une fille de Bukavu.
Cette hybridation reflète une volonté de conserver l’essence culturelle tout en s’ouvrant au monde. Mme Fifi Birindwa note que le port de ce dernier améliore la vitalité, attenue la tristesse.
« Dans différentes cultures africaines, les perles sont associées à la lune, l’eau, la pureté, la beauté et l’amour. Nous devons toujours garder sa valeur culturelle et spirituelle », renchérit-elle.
La femme comme vectrice de la mémoire culturelle
Dans la société congolaise, la femme joue un rôle central dans la préservation et la transmission des valeurs culturelles. En portant des perles, elle affirme une continuité entre passé et présent, entre générations. Les perles deviennent alors un langage transmis de mère en fille, un patrimoine vivant qui résiste à l’uniformisation culturelle.
Néanmoins, certains y voient une perversité. « Actuellement elles contribuent à la mauvaise réputation de celles qui en portent sur des parties intimes du corps », lâche une habitante de Bukavu.
Par ailleurs, Judith Gasigwa, déconseille aux congolaises de tout copier. « Les Baya doivent être portées sous-vêtements, le contraire est contre nos valeurs culturelles », insinue-t-elle.
Pour la bricoleuse, Salama Sophie, les perles véhiculent différents messages et sont un signe d’identification pour certains peuples.
« Les perles présentent un porte bonheur et un outil de protection dans certaines coutumes. Par mon travail, j’immortalise ma culture africaine. Je sensibilise également les communautés sur l’importance des différents types des perles », soutient-elle.
Un outil économique et de développement communautaire
La valorisation des perles ne s’arrête pas à l’esthétique. Elle représente également une opportunité économique pour plusieurs femmes artisanes à Bukavu. Des coopératives et associations féminines se forment pour produire, transformer et vendre ces bijoux, souvent à partir de matériaux locaux. Ces initiatives permettent à plusieurs femmes de subvenir à leurs besoins, de s’émanciper financièrement et de créer des réseaux de solidarité.
Francine Lwangi, responsable de l’établissement Perles et concepts accorde une importance capitale aux perles dans la confection des œuvres d’ornements, comme les sous plats, sac à mains, porte-clés et tant d’autres.
« Les perles constituent la tendance actuelle dans l’ornement. Les perles prennent de l’ampleur dans la mode bien que certains n’en ont pas encore pris conscience. Elles rayonnent sur le marché actuel et rendent son utilisateur unique ».
Dans une région marquée par les violences sexuelles et les conflits armés, réhabiliter ces traditions est un moyen symbolique de restaurer le pouvoir et la voix des femmes. En valorisant ce patrimoine, Bukavu peut redonner à ses femmes une place centrale dans l’écriture de son histoire et dans la préservation de ses valeurs profondes.
Gisèle BASHWIRA.