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Depuis un temps, des artistes musiciens, chanteurs et producteurs de Bukavu choisissent de s’exiler vers d’autres horizons ou pays. Ils évoquent, entre autres raisons, trouver des meilleures opportunités de production.

Les artistes sont souvent les miroirs de leur société. Ils racontent, critiquent et immortalisent les réalités de leur milieu. Ces départs massifs sont perçus comme une perte de mémoire et d’ame pour la ville de Bukavu, affaiblissant son identité  artistique et créant un vide artistique.

Freed Mushaga, figure locale de l’Afro-folk, a choisi en ce début d’année 2025 de s’installer dans les pays de l’Est du continent. Insatisfait de l’environnement artistique offert par sa ville natale, il évoque le manque d’ouverture et de liberté d’expression à Bukavu.

« Je veux évoluer dans un écosystème ouvert au monde entier et ce qu’offre Bukavu ne s’aligne pas avec mes attentes », confie-t-il.

De son côté, Cor Akim, ancien artiste pop converti au gospel, a quitté Bukavu depuis plusieurs années. En quête de réseautage, de visibilité et de meilleures conditions de travail. Il énumère des contraintes financières et le manque d’opportunités comme principales raisons de son départ.

« Les différences culturelles sont très frappantes. A Bukavu, l’environnement est intime et authentique, mais les opportunités de monétisation et d’exposition sont limités et les marchés de l’art moins développés », soutient-il.

La fragilité du cadre institutionnel

Pour certains acteurs culturels, la fuite des artistes traduit l’absence d’une véritable industrie culturelle à Bukavu. Bien que des centres et structures existent, leur portée reste limitée. Virgile Ntibonera Amani, producteur et manager au sein du label Evoludia Record, déplore l’absence de maisons de production et de labels compétents. Selon lui, le milieu artistique local souffre d’un amateurisme entretenu par des managers autodidactes, peu formés aux exigences du métier.

« Si vous suivez l’échelle de la production, il faut des moyens pour des distributions, la promotion. Mais ici, un groupe de personnes peut se décider d’accompagner un artiste sans moyens et compétences nécessaires », regrette-t-il.

Même son de cloche du côté de Gaytt Ngelessa, ancien opérateur culturel et responsable de l’Association Jeunesse Active, (JeunA). Il estime que l’art de Bukavu n’a pas encore dépassé le « niveau primaire ». À ses yeux, les potentiels sont sous-estimés, et l’art devient pour beaucoup une activité transitoire, un refuge en attendant une voie plus stable.

« Les talents et les carrières sont négligés. Les parents sont sceptiques et réservés lorsque les enfants leurs annoncent le choix dans l’évolution artistique », dit-il.

Des voix s’élèvent pour proposer des pistes d’amélioration

Freed Mushaga rappelle que « l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs ». Il appelle les artistes à valoriser leur ville d’origine tout en y introduisant des innovations et aux mélomanes de faire évoluer les perceptions face aux artistes.

Cor Akim plaide quant à lui pour « un réseautage intelligent entre artistes locaux et ceux de la diaspora, afin de favoriser les échanges de savoir-faire ». Il souligne également le rôle central que peuvent jouer les plateformes numériques et les événements d’interaction directe entre artistes et public.

Virgile Ntibonera Amani insiste sur l’importance d’un investissement concret dans l’industrie culturelle locale. Il appelle à la formation des professionnels capables de porter des projets viables, durables et compétitifs au niveau national et international.

 « Il nous faudra des gens prêts à mettre des moyens en jeu. Pas que des centres culturels, il faudra  une génération des producteurs, des managers pour faire plus », soutient-il.

Enfin, Gayt Ngelessa garde espoir d’un Bukavu rayonnant de par ses talents qui brillent dans des compétitions d’ici et d’ailleurs. « Que les artistes explorent le monde tout en préservant l’identité locale » conclut-il. 

Un carrefour pour l’art local

Entre désir de reconnaissance, quête de liberté et nécessité d’un accompagnement structuré, les artistes de Bukavu se retrouvent à la croisée des chemins. Si rien n’est fait pour retenir les talents, la ville risque de perdre davantage des artistes. Elle pourrait y perdre sa voix culturelle.

Un appel est lancé aux institutions, mécènes, centres culturels et décideurs afin de professionnaliser le secteur artistique pour préserver et faire rayonner la culture locale.

Kathia Amina

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